Rechercher, agir, former au coeur avec Emmanuel Ndione
ENDA - Tiers Monde est une ONG très importante en Afrique et au Sénégal. Emmanuel Ndione est responsable du groupe Recherches-Actions-formations de Yoff. D’après lui, la recherche-action-formation est bien plus qu’un simple objectif assigné à une organisation, c’est une manière de sentir, de travailler, d’évoluer... une manière de vivre.
L’équipe que tu animes, le groupe Recherche-actions-formations d’Environnement et Développement du Tiers-Monde se définit avant tout comme une manière de faire c’est cela ?
Exactement ! Notre raison d’être, c’est de porter notre attention sur le chemin, sur la façon de faire, sur les pratiques. Le chemin est plus important que la réussite de telle ou telle action. Nous nous focalisons sur la recherche de solutions et sur les méthodes. Toutefois, on ne peut pas séparer la manière de faire avec la finalité : il faut une mise en perspective sur le futur, ancrée sur le présent et également un regard sur le passé. La mise en perspective donne un sens, une direction et une signification. Les autres équipes de notre Ong ne sont pas forcément dans cette logique, elle est propre à notre équipe.
Nous vivons dans notre chair la recherche-action. C’est plus que toute une batterie d’instruments et d’outils à distribuer. Nous faisons un compagnonnage des porteurs de projet. C’est à dire qu’il faut être avec eux.
A l’interne, nous essayons d’attraper les nouveaux arrivants pour transmettre le capital d’idées d’Enda-Graf car on les met souvent dans le bain en les laissant se débrouiller sur le terrain. Les idées se sont construites à partir des réflexions des animateurs et des porteurs de projet qui sont venus parler de la conduite de leurs affaires.
Tu as dit que tu vis dans ta chair la recherche-action. C’est-à-dire ?
La recherche-action, c’est un mouvement perpétuel, un changement. Pour moi, le changement est une valeur. J’ai vécu des moments-clés de changement : à mes début à l’Enda (anciennement Enda-Chodak), on était persuadé que nos actions allaient changer quelque chose. Malgré tous nos efforts, en faisant le bilan, on s’est aperçu que les actions n’atteignaient pas leur but. J’en concluais que soit les cibles étaient mal choisies, soit que j’étais un incapable. J’ai réellement souffert de ne pas être efficace. Je me trouvais dans une impasse.
Ce qui m’a aidé à changer en premier lieu, c’est l’humilité et l’idée de croyance, et en m’apercevant que les gens évoluent dans une série de concepts, dans un espace de cohérence avec leurs idées. L’autre point, c’est de me demander au fond : est-ce ma capacité à contrôler ce qui m’entoure en accroissant mes capacités de maîtrise (comme un messie sauveur) qui est importante ou ma capacité à permettre aux autres de s’en sortir ? J’ai donc pris conscience de ma contradiction de messie-sauveur et en 1986, j’ai voulu quitter cette activité !
Suite à ça, je me suis reconnu dans la recherche-action. Mon mythe est passé dans la croyance dans l’expertise populaire, dans la capacité des autres à se prendre en main : j’ai débroussaillé les idées d’expertise paysanne, de recherche paysanne. Je n’arrivais pas à faire le lien entre une réalité sociale rebelle par rapport à ma vision de sociologue. J’ai compris que chercher et échouer n’est pas grave, ce qui est grave c’est refuser d’essayer : en wollof jeem teele ayul nakka jeem a aay, c’est le principe de l’essai-erreur. Un autre principe, c’est que le pauvre n’est pas celui qui n’a pas d’habits, mais celui qui n’a personne (en wollof, rafle du ki amul yere waye rafle moy ki amul nit). C’est l’importance des relations : j’ai revu tout ce que j’avais vécu avec les autres et j’ai compris énormément de choses.
Penser en terme de relations c’est cela ?
Oui. Quand je demandais ceux avec qui je travaillais quels étaient leurs besoin, il y avait une dette souterraine en moi qui me disait : « si je t’ai suivi, c’est pour toi que je l’ai fait » et en retour je ressentais une dette à l’égard de ces personnes. Ce phénomène entrave la vérité entre les gens : les gens répondent ce qui te fait plaisir : sur nos enquêtes, les paysans répondaient par exemple seulement des réponses pour nous faire plaisir !
J’ai entendu des gens mettre l’accent sur les relations et j’ai mieux compris comment fonctionnait la pauvreté sociale. J’ai regardé la vie économique des quartiers et je me suis aperçu qu’elle était ancrée dans le social en fonctionnant un peu comme une caisse d’épargne. En 1978, en étudiant les budgets familiaux, j’ai vu que les entrées étaient surtout constituées par les relations sociales (les tontines, système de cotisation où les membres d’un groupe acceptent une mise périodique où chacun met tour à tour la totalité de la mise qui est alors mutualisée). Et la circulation des ressources étaient rapides ce qui en faisait sa force. Pour eux, c’est très important. C’est la construction de la toile d’araignée. Dans un culture de la précarité, il faut tout imaginer pour échanger des choses.
J’étais sous le poids du rationnel. Mon appareil conceptuel ne me permettrait pas d’entrer dans le social et je me suis libéré des schémas que j’avais. Il fallait que je m’accroche à un autre mythe : celui de la capacité de la population à se prendre en main et ensuite reconstruire un cadre. Mon schéma s’est peu mis en place. Je suis aussi passé d’une pédagogie du besoin, qui est « enfermante », vers une pédagogie de l’intérêt qui appellent les bonnes raisons de chacun.
Comment as-tu vécu ces changements de l’intérieur ?
Pour moi, cela été très puissant. Cela a envahi tous les domaines de ma vie : ma psychologie, mes relations aux autres et à moi-même. Je me dis à présent qu’il n’y a pas qu’un seul messie et que tout le monde est indispensable, est une ressource de sens, d’histoire, de relations, de valeurs, de souffrances car intégrant le patrimoine d’humanité. Au bout de cette reconnaissance mutuelle, il y a la joie et la convivialité. Avant, il y avait la guerre dans mes rapports ! Je me suis donc fait avec de la souffrance et avec de la désillusion. Je pense aujourd’hui que je me fabrique au quotidien au contact de l’autre en relativisant beaucoup de choses. J’ai souffert effectivement, mais je suis fier d’avoir reconstruit tout cela.
Vous savez quelle image je me donne ? C’est celle de l’argile craquelée ! L’argile a besoin de l’eau qui tombe, sinon elle craquèle. Quand tu n’as pas l’eau, tu es en attente d’amour et de relations.
J’ai désormais une entrée sociale des choses en considérant systématiquement le rapport entre les acteurs. L’institution avant tout est une situation sociale.
Ce qui m’intéresse c’est la capacité des acteurs à se mettre en ligne sur des règles, les négocier à partir de leur position sociale. Il s’agit de favoriser une ré-appropriation du politique par les citoyens en élaborant les règles du jeu et en déterminant collectivement les régulations. Il s’agit pour nous apporter des compétences pour faire progresser cette appropriation. En cela nous sommes porteurs d’un projet pour un changement de société ancré sur une éthique et des valeurs, des approches et des modes de gouvernance.
Ma stratégie par rapport à cette vision c’est de faire feu de tout bois, autrement dit de travailler sur les potentiels plutôt que sur les carences.
A partir de toutes ces questions, de ce paysage conceptuel alternatif (pauvreté, relations, social..), on est passé du projet de méthode au projet politique. Il faut comprendre qu’avant cela, nous séparions la sphère politique de celle des ONG.
Un autre concept a été aussi fondamentale : le rapport pauvreté sociale - pauvreté politique. Nous savons aujourd’hui que la pauvreté la plus pernicieuse est de jouer un jeu dont on ne connaît pas les règles et dont on a pas été associé à la définition. Cela implique qu’il y a une démocratie de forme et une démocratie effective. Et la démocratie effective nécessite un minimum éducatif au niveau individuel et collectif pour construire la citoyenneté : la capacité d’être dans des groupes, dans des réseaux, la capacité technique (lire, écrire, compréhension du fonctionnement de l’Etat, la capacité symbolique c’est-à-dire le sens donné à la relation aux autres et à son activité), la capacité de compréhension de la cité.
Comment vois-tu le changement de l’Afrique ?
Je fais l’hypothèse qu’il y a trois gros chantiers en Afrique : le changement des personnes, des institutions et de la société !
Pour moi, la pauvreté est un problème d’ordre social et le changement est au coeur d’une trilogie : changement des personnes, des institutions et de la société. Ce sont dans les personnes que sont nouées les contradictions, les identités, les rôles, leur capacités d’évolution, leur valeur, leur histoire, leur profil psychologique, les modes de pensées. C’est au contact des autres que l’on peut se reconstruire (posture, vision, identité) ou bien se figer ! Mais si les personnes n’acceptent pas de se mettre dans un processus de changement, alors les institutions et la société ne pourront pas bouger. C’est une tendance que je ressens ici dans la foulée de l’expérimentation et du terrain. Et ce triptyque ne sera possible qu’en faisant de la recherche-action-formation.
Dans la personne il y a l’identité : ici on a un rapport archéologique et immobiliste de l’identité or l’identité est une construction sociale. Si ces représentations évoluent, la personne peut évoluer. Et il faut aussi des interactions avec des situations sociales institutionnalisés avec la famille par exemple, le travail, le bureau. Le changement social n’est possible qu’avec l’activation de cette trilogie. C’est de ça qu’il est question dans toute les situations sociales, c’est ça que vivent les gens tous les jours. Toutes les personnes organisent des écrans entre eux et les situations sociales et inversement. La recherche-action-formation propose un rapport de découverte, de construction avec un jeu d’hypothèse-expérimentation-erreurs-appropriation. Il faut aussi déterminer une perspective sociale, une finalité, être co-acteur du développement social. C’est là que l’on fabrique de la conscience politique. C’est le vide de l’évolution qui fait peur, il y a une recherche de la sécurité avec de la peur de soi et des autres. Cela génère des blocages. On freine des quatre fers !! C’est ça le problème !
Je ne dis que ce que j’ai vécu dans ma chair. Et moi le premier j’ai été personnellement face à cela : je bénéficie d’un héritage, d’une culture, d’un environnement dans lequel on se construit qui m’a donné des valeurs. Le rapport à la culture n’est pas un rapport de renouvellement. Les Africains ne se voient pas comme producteurs de culture alors que toute culture est soumise au renouvellement. Une société naît que si elle a conscience d’un mythe fondateur. Le mythe c’est une réponse au vide de l’existence. Ici, le mythe est en crise. D’abord parce qu’on ne le reconnaît pas. Il y a eu tellement de métissages. Le Tiers-monde par exemple est un mythe. Il y a aussi une mythologie du développement avec une culture de guerre, de la chasse, des projectiles et des tirs (cible, stratégie).
Ici aussi, on a écouté les pauvres et les exclus : on a diabolisé les cadres et les dirigeants. Et quelque part on s’est exclu avec l’appellation ONG de la relation aux dirigeants. Mais nous trouvons notre justification dans les cendres de l’Etat au moment de la création des ONG. On a voulu donner plus de place à la société civile et aux associations. Et on s’est ensuite aperçu qu’il fallait un Etat régulateur. On a pas la culture de la régulation, de la concertation. Il faut une culture de la diversité. On est trop dans la domination, on accepte pas les différences que l’on ignore, que l’on contourne. La société est un ensemble de relation et des règles du jeu. Le coeur du changement c’est de travailler sur les trois dimensions.
Exactement ! Notre raison d’être, c’est de porter notre attention sur le chemin, sur la façon de faire, sur les pratiques. Le chemin est plus important que la réussite de telle ou telle action. Nous nous focalisons sur la recherche de solutions et sur les méthodes. Toutefois, on ne peut pas séparer la manière de faire avec la finalité : il faut une mise en perspective sur le futur, ancrée sur le présent et également un regard sur le passé. La mise en perspective donne un sens, une direction et une signification. Les autres équipes de notre Ong ne sont pas forcément dans cette logique, elle est propre à notre équipe.
Nous vivons dans notre chair la recherche-action. C’est plus que toute une batterie d’instruments et d’outils à distribuer. Nous faisons un compagnonnage des porteurs de projet. C’est à dire qu’il faut être avec eux.
A l’interne, nous essayons d’attraper les nouveaux arrivants pour transmettre le capital d’idées d’Enda-Graf car on les met souvent dans le bain en les laissant se débrouiller sur le terrain. Les idées se sont construites à partir des réflexions des animateurs et des porteurs de projet qui sont venus parler de la conduite de leurs affaires.
Tu as dit que tu vis dans ta chair la recherche-action. C’est-à-dire ?
La recherche-action, c’est un mouvement perpétuel, un changement. Pour moi, le changement est une valeur. J’ai vécu des moments-clés de changement : à mes début à l’Enda (anciennement Enda-Chodak), on était persuadé que nos actions allaient changer quelque chose. Malgré tous nos efforts, en faisant le bilan, on s’est aperçu que les actions n’atteignaient pas leur but. J’en concluais que soit les cibles étaient mal choisies, soit que j’étais un incapable. J’ai réellement souffert de ne pas être efficace. Je me trouvais dans une impasse.
Ce qui m’a aidé à changer en premier lieu, c’est l’humilité et l’idée de croyance, et en m’apercevant que les gens évoluent dans une série de concepts, dans un espace de cohérence avec leurs idées. L’autre point, c’est de me demander au fond : est-ce ma capacité à contrôler ce qui m’entoure en accroissant mes capacités de maîtrise (comme un messie sauveur) qui est importante ou ma capacité à permettre aux autres de s’en sortir ? J’ai donc pris conscience de ma contradiction de messie-sauveur et en 1986, j’ai voulu quitter cette activité !
Suite à ça, je me suis reconnu dans la recherche-action. Mon mythe est passé dans la croyance dans l’expertise populaire, dans la capacité des autres à se prendre en main : j’ai débroussaillé les idées d’expertise paysanne, de recherche paysanne. Je n’arrivais pas à faire le lien entre une réalité sociale rebelle par rapport à ma vision de sociologue. J’ai compris que chercher et échouer n’est pas grave, ce qui est grave c’est refuser d’essayer : en wollof jeem teele ayul nakka jeem a aay, c’est le principe de l’essai-erreur. Un autre principe, c’est que le pauvre n’est pas celui qui n’a pas d’habits, mais celui qui n’a personne (en wollof, rafle du ki amul yere waye rafle moy ki amul nit). C’est l’importance des relations : j’ai revu tout ce que j’avais vécu avec les autres et j’ai compris énormément de choses.
Penser en terme de relations c’est cela ?
Oui. Quand je demandais ceux avec qui je travaillais quels étaient leurs besoin, il y avait une dette souterraine en moi qui me disait : « si je t’ai suivi, c’est pour toi que je l’ai fait » et en retour je ressentais une dette à l’égard de ces personnes. Ce phénomène entrave la vérité entre les gens : les gens répondent ce qui te fait plaisir : sur nos enquêtes, les paysans répondaient par exemple seulement des réponses pour nous faire plaisir !
J’ai entendu des gens mettre l’accent sur les relations et j’ai mieux compris comment fonctionnait la pauvreté sociale. J’ai regardé la vie économique des quartiers et je me suis aperçu qu’elle était ancrée dans le social en fonctionnant un peu comme une caisse d’épargne. En 1978, en étudiant les budgets familiaux, j’ai vu que les entrées étaient surtout constituées par les relations sociales (les tontines, système de cotisation où les membres d’un groupe acceptent une mise périodique où chacun met tour à tour la totalité de la mise qui est alors mutualisée). Et la circulation des ressources étaient rapides ce qui en faisait sa force. Pour eux, c’est très important. C’est la construction de la toile d’araignée. Dans un culture de la précarité, il faut tout imaginer pour échanger des choses.
J’étais sous le poids du rationnel. Mon appareil conceptuel ne me permettrait pas d’entrer dans le social et je me suis libéré des schémas que j’avais. Il fallait que je m’accroche à un autre mythe : celui de la capacité de la population à se prendre en main et ensuite reconstruire un cadre. Mon schéma s’est peu mis en place. Je suis aussi passé d’une pédagogie du besoin, qui est « enfermante », vers une pédagogie de l’intérêt qui appellent les bonnes raisons de chacun.
Comment as-tu vécu ces changements de l’intérieur ?
Pour moi, cela été très puissant. Cela a envahi tous les domaines de ma vie : ma psychologie, mes relations aux autres et à moi-même. Je me dis à présent qu’il n’y a pas qu’un seul messie et que tout le monde est indispensable, est une ressource de sens, d’histoire, de relations, de valeurs, de souffrances car intégrant le patrimoine d’humanité. Au bout de cette reconnaissance mutuelle, il y a la joie et la convivialité. Avant, il y avait la guerre dans mes rapports ! Je me suis donc fait avec de la souffrance et avec de la désillusion. Je pense aujourd’hui que je me fabrique au quotidien au contact de l’autre en relativisant beaucoup de choses. J’ai souffert effectivement, mais je suis fier d’avoir reconstruit tout cela.
Vous savez quelle image je me donne ? C’est celle de l’argile craquelée ! L’argile a besoin de l’eau qui tombe, sinon elle craquèle. Quand tu n’as pas l’eau, tu es en attente d’amour et de relations.
J’ai désormais une entrée sociale des choses en considérant systématiquement le rapport entre les acteurs. L’institution avant tout est une situation sociale.
Ce qui m’intéresse c’est la capacité des acteurs à se mettre en ligne sur des règles, les négocier à partir de leur position sociale. Il s’agit de favoriser une ré-appropriation du politique par les citoyens en élaborant les règles du jeu et en déterminant collectivement les régulations. Il s’agit pour nous apporter des compétences pour faire progresser cette appropriation. En cela nous sommes porteurs d’un projet pour un changement de société ancré sur une éthique et des valeurs, des approches et des modes de gouvernance.
Ma stratégie par rapport à cette vision c’est de faire feu de tout bois, autrement dit de travailler sur les potentiels plutôt que sur les carences.
A partir de toutes ces questions, de ce paysage conceptuel alternatif (pauvreté, relations, social..), on est passé du projet de méthode au projet politique. Il faut comprendre qu’avant cela, nous séparions la sphère politique de celle des ONG.
Un autre concept a été aussi fondamentale : le rapport pauvreté sociale - pauvreté politique. Nous savons aujourd’hui que la pauvreté la plus pernicieuse est de jouer un jeu dont on ne connaît pas les règles et dont on a pas été associé à la définition. Cela implique qu’il y a une démocratie de forme et une démocratie effective. Et la démocratie effective nécessite un minimum éducatif au niveau individuel et collectif pour construire la citoyenneté : la capacité d’être dans des groupes, dans des réseaux, la capacité technique (lire, écrire, compréhension du fonctionnement de l’Etat, la capacité symbolique c’est-à-dire le sens donné à la relation aux autres et à son activité), la capacité de compréhension de la cité.
Comment vois-tu le changement de l’Afrique ?
Je fais l’hypothèse qu’il y a trois gros chantiers en Afrique : le changement des personnes, des institutions et de la société !
Pour moi, la pauvreté est un problème d’ordre social et le changement est au coeur d’une trilogie : changement des personnes, des institutions et de la société. Ce sont dans les personnes que sont nouées les contradictions, les identités, les rôles, leur capacités d’évolution, leur valeur, leur histoire, leur profil psychologique, les modes de pensées. C’est au contact des autres que l’on peut se reconstruire (posture, vision, identité) ou bien se figer ! Mais si les personnes n’acceptent pas de se mettre dans un processus de changement, alors les institutions et la société ne pourront pas bouger. C’est une tendance que je ressens ici dans la foulée de l’expérimentation et du terrain. Et ce triptyque ne sera possible qu’en faisant de la recherche-action-formation.
Dans la personne il y a l’identité : ici on a un rapport archéologique et immobiliste de l’identité or l’identité est une construction sociale. Si ces représentations évoluent, la personne peut évoluer. Et il faut aussi des interactions avec des situations sociales institutionnalisés avec la famille par exemple, le travail, le bureau. Le changement social n’est possible qu’avec l’activation de cette trilogie. C’est de ça qu’il est question dans toute les situations sociales, c’est ça que vivent les gens tous les jours. Toutes les personnes organisent des écrans entre eux et les situations sociales et inversement. La recherche-action-formation propose un rapport de découverte, de construction avec un jeu d’hypothèse-expérimentation-erreurs-appropriation. Il faut aussi déterminer une perspective sociale, une finalité, être co-acteur du développement social. C’est là que l’on fabrique de la conscience politique. C’est le vide de l’évolution qui fait peur, il y a une recherche de la sécurité avec de la peur de soi et des autres. Cela génère des blocages. On freine des quatre fers !! C’est ça le problème !
Je ne dis que ce que j’ai vécu dans ma chair. Et moi le premier j’ai été personnellement face à cela : je bénéficie d’un héritage, d’une culture, d’un environnement dans lequel on se construit qui m’a donné des valeurs. Le rapport à la culture n’est pas un rapport de renouvellement. Les Africains ne se voient pas comme producteurs de culture alors que toute culture est soumise au renouvellement. Une société naît que si elle a conscience d’un mythe fondateur. Le mythe c’est une réponse au vide de l’existence. Ici, le mythe est en crise. D’abord parce qu’on ne le reconnaît pas. Il y a eu tellement de métissages. Le Tiers-monde par exemple est un mythe. Il y a aussi une mythologie du développement avec une culture de guerre, de la chasse, des projectiles et des tirs (cible, stratégie).
Ici aussi, on a écouté les pauvres et les exclus : on a diabolisé les cadres et les dirigeants. Et quelque part on s’est exclu avec l’appellation ONG de la relation aux dirigeants. Mais nous trouvons notre justification dans les cendres de l’Etat au moment de la création des ONG. On a voulu donner plus de place à la société civile et aux associations. Et on s’est ensuite aperçu qu’il fallait un Etat régulateur. On a pas la culture de la régulation, de la concertation. Il faut une culture de la diversité. On est trop dans la domination, on accepte pas les différences que l’on ignore, que l’on contourne. La société est un ensemble de relation et des règles du jeu. Le coeur du changement c’est de travailler sur les trois dimensions.
En savoir plus :
le site web d’ENDA
ouvrages co-édités par ENDA : Dakar : un territoire en grappes, Réinventer le présent (éditions Karthala)
sélection de fiches d’expériences DPH : fiche 4643,
129, et 5450.
Les défis des ONG face à la crise des régulations politiques(fiche Bip 1142 - notes de travail de la fondation Charles Léopold Mayer - format PDF - 200 Ko) -> télécharger
Le phénomène Ong (fiche BIP 50 - notes de travail de la fondation Charles Léopold Mayer - format PDF - 120 Ko) -> télécharger
Carte d’identité de ENDA-Graf
ENDA est une importante organisation non-gouvernementale internationale à but non lucratif créée en 1972 qui opère en Amérique du sud, en Asie, en Europe et en Afrique. Le siège est au Sénégal, ce qui est original puisque beaucoup d’autres ONG ont leur siège dans les pays développés du Nord. Quinze à vingt équipes sont réparties dans le monde, ce qui représente 500 ou 600 personnes. Né en 1987, ENDA Groupe-Recherches-Actions-Formations (GRAF) est une antenne d’ENDA Tiers-Monde et travaille de façon transversale avec les différentes entités thématiques d’ENDA (jeunesse, femme, environnement, participation urbaine, enfants des rues notamment) afin d’étudier transversalement les manières de faire, d’en dégager des principes d’action et des outils méthodologiques et de capitaliser les expériences. Elle tente de promouvoir la réflexion stratégique auprès des autres équipe d’Enda et de ses partenaires extérieurs. Enda-Graf comptabilise une trentaine de partenaires financiers, et une trentaine de partenaires techniques composés d’ONG, d’universités et de pouvoirs publics. Enda-Graf organise ses partenariats sous la forme de consortiums d’ONG (par exemple avec deux ONG et une entreprise belge Scripta qui ont constitué une asbl pour faire visiter des projets de développement aux entrepreneurs belges), de conduite de projets (maîtrise d’oeuvre sur des programmes impulsés par les collectivités par exemple) ou d’animation d’échanges et de réflexion thématique (groupe de réflexion sur la ruralité et les politiques publiques). Chaque entité est autonome dans son financement et ses projets et il revient à chacune de constituer un budget de fonctionnement. Le renforcement de la base financière est une stratégie prioritaire.
Au sein d’ENDA, il n’y a jamais eu véritablement de confrontation des différents entités. Celles-ci se sont développées séparément. En 1999, Emmanuel Ndione a été nommé secrétaire exécutif chargé de la coordination d’ENDA, et a favorisé l’élaboration de politiques générales qui ont mis en avant les idées produites à Graf, notamment en terme de gouvernance. L’équipe a proposé un modèle d’organisation axé sur l’autonomie des entités d’ENDA en essayant de conserver la cohérence d’ensemble et la capacité d’initiative locale et en assurant des aller-retours de la réalité avec le développement. Un des principes affiché dans le modèle est de postuler que les programmes s’écartent naturellement des idées idéales et qu’il faut mesurer les écarts par rapport aux objectifs affichés. Mais cette proposition n’a pas été adoptée par manque de débat, d’appropriation et de choix politique.
La restructuration d’ENDA est plus que jamais d’actualité : elle doit passer à un autre degré d’organisation. Après avoir établi un diagnostic avec un consultant suisse sur la gouvernance des équipes d’ENDA, il ressort que la communication institutionnelle et la capitalisation est un élément commun. Le modèle d’une structure modifiable, plus souple et complexe, avec un système polycentrée et avec des finalités et des méthodes bien définis apparaît le plus adapté. Le succès réside dans l’appropriation : il faudra que les entités participent à cette définition affirme Emmanuel Ndione et sa collaboratrice Virginie Vanhanverdeke.
Rétrospective sur la fondation d’ENDA
Jacques Bugnicourt en est le fondateur. Il est décédé le 16 avril 2002. Depuis on a énormément de mal à s’approprier son héritage, et notamment à mettre en place une façon de fonctionner qui tienne la route. Rapidement son histoire : c’était un homme qui s’était investi pour l’indépendance de l’Algérie (après avoir été appelé pour la guerre) avec des positions très radicales. Ensuite, il est venu travailler au Sénégal avant l’indépendance avec Senghor, en tant que directeur de la direction de l’aménagement du territoire et sur la formation des élites administratives sénégalaises. Il s’est investit dans un programme de l’IDEP (Institut africain pour le développement et la planification) et c’est dans le prolongement de ce programme qu’il a créé l’ENDA. Ensuite il a travaillé avec les Nations-Unies. Son souhait était de chercher des alternatives, avec une revendication forte de l’originalité de l’Afrique et la recherche de modèles appropriés au contexte local. Les premières recherches avaient pour but de montrer qu’on pouvait penser autrement, c’est ce qu’on appelait alors « la bataille des idées », et ensuite qu’on pouvait faire autrement. Cette volonté démonstratrice avec action concrète sur le terrain était très importante pour Jacques. Dans cette dynamique, ENDA Chodak (nom d’un quartier de Dakar) a été le premier laboratoire de ENDA en 1975. C’était une initiative qui portait sur un quartier en milieu urbain, ce qui était assez innovant, car à cette époque les priorités de développement étaient orientés vers les campagnes et les petits paysans. ENDA avait convenu avec le Secrétariat à la promotion humaine (SEPH) de travailler sur l’urbain en mettant en avant le concept de la participation et en anticipant sur l’urbanisation galopante et l’exode rural.
L’initiative était alors à l’avant garde de certains concepts et n’a pas manqué d’effrayer les élites et les décideurs de l’époque. Ces concepts sont devenus centraux aujourd’hui.
Grand-Yoff, le 20 mai 2004
Mots-clés
Aire géo-culturelle: Afrique de l’OuestCatégorie d’acteur: Ong
Domaine d’action: Agriculture - développement rural - Démocratie - citoyenneté - Etat - administration - Gouvernance - politique
Itinéraire de vie: Changement de la personnalité - Crise de l’identité - remise en question - Décalage ressenti avec les réalités - Défi - relation à ses propres limites - Désir de compréhension de soi et du monde - Engagement et volonté - Evolution des idées et des représentations - Prise de conscience - Prise de risque - relation avec l’incertitude - Processus d’apprentissage - Recherche de sens et de vérité - Reconstruction individuelle
Méthode d’action: Animation et coordination des réseaux et organisations - Appui et accompagnement de l’action collective - Capitalisation et collecte de l’expérience - Construction du capital social - Echange et valorisation de l’expérience - Expérimentation et innovation - Formation - renforcement des capacités - Organisation du partenariat - Relation avec les acteurs institutionnels
Mutation sociale: 1 Diffuser, partager la connaissance et transformer le système éducatif - 1 Faire jouer à la culture un rôle dynamique - 1 Promouvoir une éthique commune - 2 Promouvoir une nouvelle approche de l’économie, au service de l’ensemble de la société et de la préservation de la biosphère - 2 Promouvoir une société plus juste, plus démocratique et plus pacifique - 3 Développer la citoyenneté active - 3 Rééquilibrer les mécanismes de la gouvernance pour protéger les droits et les intérêts des personnes, des groupes et des pays les plus faibles - 3 Réformer la gouvernance locale : promouvoir les principes communs de gouvernance au niveau local - 3 Réformer les États et les politiques publiques : promouvoir les principes communs de gouvernance au niveau national - 3 Définir et promouvoir à tous les niveaux des principes communs pour une gouvernance légitime, démocratique, efficace du local au global - 4 Améliorer la capacité d’intégration des dimensions sociales et écologiques des politiques publiques et privés