Ennakhil pour la femme et l’enfant

Courir après une adresse dans Marrakech... Ah ! Le bonheur ! Nous avons d’abord cru au remake marocain des Envahisseurs, tellement nous ressentions au fond de nous et à tour de rôle la détresse du pauvre David Vincent, lui aussi mais lui pour toujours « à la recherche du route qu’il ne trouverait jamais ».
Car pour atteindre et rejoindre enfin les femmes de l’association Ennakhil, il nous aura fallu pas moins de quatre taxis (chacun nous ayant lâchement abandonné à notre malheur), une dizaine de coups de fil intermédiaires au local de l’organisation, des miliers de renseignements glanés deci-delà dans la rue et des bonnes jambes. La clé de notre réussite dans cette épreuve : garder le sourire et maîtriser parfaitement la langue arabe.

Mais la récompense sera à la hauteur de notre persévérance et malgré plus de deux heures de retard à notre compteur, nous débarquons enfin au siège de l’association, où chaleureusement Zakia Mrini, Présidente de l’association, Zakia Chramo, coordinatrice du centre d’écoute et Khadiga Ouktoui, responsable du centre de Aït Ourir, nous accueille en équipe, du thé à gogo bien entendu et de tendres sourires. Ah ! Le sourire des femmes. La détresse de David Vincent est déjà bien loin quand Abdellah Elmemdli, le secrétaire général, nous rejoint. Un homme ? Oui, car le combat des femmes c’est aussi le combat des hommes.



Ennakhil a été crée en 1997. Le démarrage s’est fait grâce à des militantes qui s’inscrivaient dans une revendication à l’échelon national. Au départ de l’aventure nous avons ouvert deux antennes puis nous avons cherché à nous mettre en relation avec les acteurs locaux, les associations qui oeuvraient sur le terrain dans la même direction. Aujourd’hui notre réseau déborde très largement le réseau associatif et nous avons des relations très fortes avec les institutions, la Préfecture, l’Etat et ses services, avec les conseillères dans les mairies chargées de faciliter l’expression et la parole des femmes. Ensuite en 1998, nous avons inauguré le centre d’écoute pour la violence conjuguale. Les femmes peuvent y rencontrer toute la semaine un psychologue et un avocat pour les conseiller. Evidemment, c’est un service qui est gratuit.


Donc votre principal objectif est d’aider les femmes qui subissent des violences physiques ou psycologiques ?
Pas seulement, notre activité consiste à promouvoir l’intégration de la femme dans la société marocaine. Culturellement notre société est très fortement marquée par le patriarcat. Dans l’inconscient collectif, aujourd’hui encore dans notre société, la femme doit subir. Et cela se ressent à tous les niveaux : dans la famille, dans la vie économique, dans la vie politique. Partout les femmes sont minoritaires ou soumises. Notre rôle est de les aider à devenir actrices à part entière de leur vie et de la société.

Nous travaillons sur plusieurs axes : l’éducation et la formation des femmes, l’insertion dans la vie économique et la participation au développement, la santé, les problèmes juridiques, la médiation sociale et la participation de la femme aux décisions et donc son intégration dans la vie politique. Je crois que notre particularité, c’est d’essayer de travailler autour de ses axes de façon intégrée. C’est à dire que nous essayons le plus possible de ne pas traiter ces thèmes de façon séparée. Par exemple, un programme de sensibilisation au SIDA sera accompagné d’un programme d’alphabétisation. Et puis depuis quelques temps, nous élargissons notre action aux enfants qui sont en contact avec des femmes en situation difficile.


C’est un vaste chantier ! Comment fonctionnez- vous exactement ?
Nous nous appuyons principalement sur un réseau de bénévoles, des gens qui veulent s’investir dans l’amélioration de la condition de la femme. Pour l’anecdote, nous comptons près de 40% d’hommes dans nos rangs. Et puis surtout, nous fonctionnons par convention. Nous avons établis plusieurs convention avec le corps des avocats de Marrakech pour à la fois sensibiliser les jeunes avocats aux droits de la femme et disposer en interne des compétences pour épauler les femmes dans leurs démarches juridiques. Nous avons également organisé plusieurs tables rondes avec l’hôpital pour sensibiliser l’ensemble du personnel à l’accueil des femmes marocaines dans les hôpitaux. L’intimité de la femme est encore un tabou ici et beaucoup de femmes n’osaient pas se déplacer dans les centres de soins. Il nous fallait travailler sur ce point, l’accès aux soins est un fondement de toute société civilisée. Dernièrement nous travaillons avec la Chambre d’artisanat, nous souhaitons que les femmes puissent participer aux décisions prises au sein de la Chambre, pour faire valoir leurs droits à l’égalité notamment financière. Les femmes sont très exploitées dans ce domaine.

Tous ces gens pour la plupart travaillent bénévolement pour le centre et jouent également le jeu de l’évaluation. Chaque année ou quand c’est nécessaire, nous évaluons les pratiques de nos intervenants. C’est obligatoire si on veut pouvoir assurer un conseil de bon niveau. Il y a à la fois une évaluation interne par les chefs de projet en général et une évaluation extérieure par les femmes qui sont passées par le centre et les avocats formateurs qui pratiquent en dehors du centre.


Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’actions que vous avez mises en place ?
Notre premier cheval de bataille a été l’analphabétisme. Au Maroc, l’analphabétisme touche en moyenne jusque 65% des femmes et cette moyenne peut atteindre 95% dans certaines campagnes retirées. Sur ce plan, nous sommes parmi les pays les plus en retard. Cela pose évidemment un grand problème pour l’intégration des femmes dans la vie de la cité. Nous avons donc, dès notre origine, cherché à monter des programmes d’alphatétisation. Mais nous ne voulions pas le faire comme le fait le gouvernement en montrant la femme toujours soumise aux règles édictées par la société et donc les hommes (elle nous montre un extrait du mensuel de l’association dans lequel est repris un dessin issu d’un manuel scolaire où on y voit une femme portant bois et nourriture pendant que son mari fume une cigarette assis sur un mulet). Nous voulions associer l’alphabétisation aux autres défis auxquels sont confrontés les femmes, par exemple l’indépendance économique. Nos cours sont associés à des cours très simples au départ de comptabilité et à des formations aux métiers traditionnels : peinture sur verre, broderie... Nous leur apprenons du même coup à écrire, s’exprimer à travers un métier et tenir une comptabilité.


Et sur le terrain, comment vous y prenez-vous pour mobiliser les femmes ?
Nous démarchons directement sur place, dans les endroits les plus défavorisés, les douars. Au préalable nous nous rapprochons toujours d’une association, d’une organisation locale ou même d’une jeune femme. C’est toujours plus simple. Dans un petit village tout le monde se connait, c’est plus facile pour quelqu’un de connu de rentrer en contact avec les femmes. Nous assurons également une formation pour que celles qui iront sur le terrain ne soient pas prises au dépourvu. C’est ce qui s’est passé avec Aït Ourir, à une trentaine de kilomètres d’ici, avec Khadiga notamment qui voulait absolument s’investir pour faire évoluer la situation des femmes de son quartier.


Et tout ça porte ses fruits ? Les choses évoluent petit à petit ?
Bien sûr ! Aujourd’hui nous sommes fiers de constater que plus de 10000 femmes ont été alphabétisées dans la région de Marrakech, dans un rayon de 100 km autour de la ville. L’année dernière, lors des élections communales (septembre 2003), nous avons mis en place avec Ennakhil un programme de formation pour les femmes qui souhaitaient être candidates. Principalement une formation pour les sensibiliser au fonctionnement des institutions et des principaux organes de l’Etat. Les femmes ont le droit d’être candidates, mais culturellement les postes ne leur sont pas accessibles. Aujourd’hui, au niveau national, 35 femmes sont représentées soit environ des sièges. C’est une obligation. Il s’agit d’un nouvel amendement inscrit dans la loi marocaine. Par contre au niveau local là où les moeurs évoluent le moins rapidement, on ne compte que 0,3 % de femmes dans les représentations locales.

Un autre exemple. Au niveau familial, les femmes ne peuvent pas revendiquer les mêmes droits que les hommes : polygamie, divorce, pension alimentaire, garde des enfants, âge du mariage. Tout cela est dicté depuis toujours par les hommes. Depuis plusieurs années nous participons à des marches nationales pour revendiquer des droits équivalents pour les femmes et cela a remué les mentalités au plus haut niveau. Le 10 octobre 2003, le roi a annoncé un changement du code de la famille avec une mise en application effective pour février 2004. Avant les parlementaires n’avaient pas cette question à traiter. Elle est entrée désormais dans les discussions gouvernementales. Près de 90% des revendications ont été intégrés dans ce nouveau code. C’est à dire que dans chaque grande ville, il y aura désormais un tribunal spécial sur les affaires de la famille. L’étape suivante, c’est la vulgarisation de tout ça auprès de ceux qui en ont besoin. Cela veut dire formation d’animateurs compétents et mise en place d’un acceuil pour pouvoir conseiller les femmes. Ce que nous recherchons, c’est la diffusion de ces nouvelles idées pour que les femmes puissent prendre connaissance des nouvelles lois qui les protègent et des possibilités d’émancipation qui s’offrent à elle.


Votre appellation est « Association Ennakhil pour la femme et l’enfant ». Avec les enfants quelles sont vos stratégies d’intervention ?
L’exploitation sexuelle des enfants n’est pas un petit problème ici au Maroc, même si culturellement encore une fois il est très mal vu d’aborder le sujet. On reçoit les enfants qui ont été violentés, physiquement, sexuellement, moralement et on essaie d’assurer un suivi psychologique avec des animateurs et des médecins spécialisés sur ce genre de cas. On intervient également dans les écoles pour sensibliser les enfants, dans les prisons de femmes, dans les centres de protection des enfants, l’équivalent d’une prison pour mineurs, à l’orphelinat de Marrakech. Et puis on prend en charge parfois, quand l’enfant et la mère le souhaite, les enfants des femmes qui sont emprisonnées : on s’occupe de les placer en orphelinat, d’organiser des visites régulières et de veiller à la bonne éducation scolaire des enfants (suivi scolaire et psychologique).


Je suppose que vous devez avoir dans votre besace plein de projets en gestation pour les prochaines années ?
Nous allons essayer de faire de la médiation sociale dans la démolition des bidonvilles (douars) de Marrakech, c’est un projet pilote au Maroc avec le Ministère de l’habitat. Notre idée est d’accompagner les populations pour qu’elles puissent accéder à des logements sains. Mais nous voulons le faire avec les populations, c’est une condition que nous avons affichée, pour que les quartiers qui seront nouvellement créés correspondent aux aspirations de la population qui sera destinée à y vivre. Faire participer la population, ouvrir le dialogue, créer une relation de confiance et être à la hauteur des engagements, voilà quelques unes des clés de la réussite pour tout projet de développement. Pour un vrai développement local, il faut une vision globale et intégrée, et être convaincu qu’il n’y aura pas de développement sans développement humain.

Sur un autre volet, nous sommes en train de mettre sur pied un lieu de rencontres, d’échange de savoir, de formation avec bibliothèque, salle de cours, salle de conférence pour les associations qui travaillent sur la femme et l’enfant autour de Marrakech. Le projet est bien lancé puisque nous possédons déjà le terrain. Il ne reste plus qu’à construire le bâtiment.

Enfin, un autre programme concerne les enfants au travail pour la production artisanale ou encore pour la vente en marché ambulant : Ennakhil souhaite participer à la formation des associations qui travailleront sur ce programme et notamment former les animateurs.

Ah oui ! Et puis une dernière chose encore : nous tenons beaucoup à participer à l’organisation d’un forum social méditerranéen. Nos problèmes sont similaires de part et d’autre de la Mediterranée. Nous devons absoluement réussir à nous réunir pour échanger sur nos expériences et nos méthodes de faire. D’ailleurs en ce qui nous concerne, nous travaillons sur le recueil de notre expérience et de nos savoir-faire. Nous voulons cumuler dans tous les domaines car on a un bagage que nous voulons capitaliser et transmettre. Nous voudrions que chaque comité fassent le point sur ses pratiques et ses outils. Car un point fondamental pour travailler correctement c’est les méthodologies que l’on utilise.


Et personnellement comment vous-y retrouvez vous ?
Je voudrais un peu me libérer, tout ça me prend beaucoup de temps. Mais tu sais, je suis heureuse dans ce que je fais. La reconnaissance de la part des femmes est fabuleuse. Tu sais, les femmes ont un sourire merveilleux quand elles sont heureuses.


Si vous aviez quelque chose à transmettre à de jeunes enfants, qu’est ce vous leur diriez ?
Il faut voir ailleurs, il faut croire en la diversité, aux autres cultures, et s’investir aux cotés des plus démunis, s’engager et faire changer les choses même petitement. Il existe un magazine titré : « Les 100 personnes qui ont changé la condition de la femme au Maroc ». Ces femmes étaient en réaction, elles se sont révoltées. Je pense qu’il faudrait en faire un manuel scolaire.



Nous avons quitté les membres de l’association Ennakhil pour la femme et l’enfant avec la promesse de passer voir le lendemain sur Aït Ourir la coopérative de femmes mise en place. De leur côté, ils enchaînaient avec une rencontre sur l’exploitation des enfants en compagnie de l’Unicef.

Pour en savoir plus :
- sur les activités de l’AEFE

- consultez également le portait de Ourida Chouaki « Pour une Algérie au féminin pluriel » et découvrez le combat des femmes algérienne pour l’abrogation du code de la famille



La Moudawana se modernise - un pas vers l’égalité
Jeune Afrique / l’intelligent - L’Etat de l’Afrique 2004, hors série n°6 / avril 2004

Le nouveau Code de la famille marocain, qui réforme en profondeur le statut de la femme, a été adopté le 23 janvier 2004. L’âge légal du mariage pour les jeunes filles est porté de 15 à 18 ans. Les femmes peuvent désormais se passer de la médiation (souvent symbolique) d’un tuteur matrimonial (le wali) pour se marier. L’épouse, qui selon l’article 36 de l’ancien Code du Statut personnel devait obéissance à son mari, devient son égal en droit. La famille est placée « sous la responsabilité conjointe des deux époux ». Le remariage du conjoint avec une deuxième femme et la répudiation verbale sont soumises à une autorisation préalable du juge. En cas de séparation, les biens acquis pendant le mariage sont partagés équitablement entre les deux parties et non plus répartis en fonction de leur utilisateur « habituel » ou des revenus respectifs de chacun. Les mineurs de 15 ans peuvent choisir leur parent de garde, ce qui met fin au statut dérogatoire des garçons, qui avaient cette possibilité dès 12 ans.


Traversées - http://www.traversees.org
A propos de Traversées
Nos compagnons de route
Presse
Contact
français espanol english