La N40 où l’on voyage sur écoute
Pas un brin de vent aujourd’hui sur la nationale 40. Il y avait toujours jusqu’à présent une petite brise ou une grosse soufflée de passage sur la surface patagonienne. Mais là, silence. Le ventilateur fait la trève. On dirait que la pampa toute entière s’est mise à retenir son souffle et à écouter ceux qui caracolent en surface. Le silence est rare, beau, limpide. On voyage sur écoute.
En guettant les bruits, les anomalies. J’entends aussi mon propre bruit. Mes gestes, les plis de ma veste, le frou-frou des pas sur les graviers, ma respiration. A l’extrême, quand plus rien ne bouge, il ne reste plus que le mouvement des yeux, de la tête, là où plonge le regard, ce qui l’attire, ce qui le rend curieux, ce qui l’intrigue, le guide, le séduit. L’endroit est fait pour découvrir le silence et ce qui reste quand il n’y a que du silence : son propre bruit. La route a grimpé un peu, on pouvait s’attendre à rencontrer une jolie ligne de fuite du paysage. Pas manqué. Il y a des collines et des sommets, de la lumière et des perspectives, l’ensemble fabrique quelque chose de beau et de silencieux. Il y a des pics, une vallée, des dégradés de bleu, de jaune, d’ocre. On apprend ici que le tout est plus joli que chacune des parties observées une à une. Ce sont davantage les accords entre les teintes et les formes qui fabriquent le beau. La vallée est belle, mais le relief la rend beaucoup noble et plus insolite. En quittant le haut de la colline, je regarde comment on perd progressivement la perspective, le panorama.
Le silence est toujours là, il se transforme même en état d’âme. Ne rien dire. Contempler. Laisser glisser. Contempler librement l’horizon. Regarder le silence. On choisit quelle partie observer, puis on la quitte momentanément pour la retrouver peu après, peut-être légèrement changée. Il y aura eu du neuf dans la lumière. On s’imagine dans la même affaire avec un soleil plus rasant et rayonnant en fin d’après-midi. Je vais du grand au petit, de là-bas jusqu’ici, du près au lointain, sans rupture ni obstacles, en mode continu. En même temps, j’essaye d’entendre le silence, le paysage qui envahit, qui fait silence. Et ce bruit. Quand on peut l’entendre, on se sent enveloppé, protégé, reconnecté à tout ce qui nous constitue de l’intérieur. Tout le contraire de la dispersion qu’il peut y avoir dans une ville par exemple.
Le charme du décor et du silence est venu aussi de la manière dont on y est arrivé. Il fallait rouler des heures, grimper jusqu’ici, espérer, puis mériter le rendez-vous avec la coïncidence. Coïncidence ? Oui, beaucoup de monde se rejoint sur ce carrefour : le lointain, le beau, le profond et le silence.
Caracoles - Patagonie. Le 14 avril 2006.