Le choix des armes pour la liberté de Ahmed
Ahmed Watenofane s’apprête à quitter son deux pièces de Niamey pour prendre son service de nuit à la garde républicaine du Niger. Un de ses amis va l’accompagner en moto jusqu’à la caserne. Il lui reste quelques minutes pour prendre un thé et saluer d’une humeur joyeuse les voisins de la courée où nous sommes installées ce soir avec Idrissa. Il accepte volontiers notre invitation de s’asseoir pour discuter une dizaine de minutes tandis que son ami, soldat également, se met à accorder à sa façon les six cordes d’acier et nylon de la guitare et à entonner quelques arpèges touaregs. Ahmed sort de sa poche deux cartes militaires : la première correspond à son service dans la garde républicaine et la seconde, plutôt froissée, le matricule n°523 écrit au stylo avec une photo noir et blanc plaquée sous le plastique séché et croustillant recouvrant le papier cartonné, correspond à une ancienne appartenance militaire, celle du Front de libération touareg de Tamoust (FLT).
« Je me suis engagé dans les forces de libération touaregs à partir de 1990. J’avais dix neuf ans. Pour devenir un homme dans mon ethnie kalouli, comme dans les autres ethnies, il fallait se battre pour sauver son peuple alors je n’ai pas eu le choix. C’était un honneur d’aller se préparer au combat. J’ai fait une année de formation militaire avec d’autres jeunes comme moi en Lybie. Nous avions un salaire. Les soldats lybiens nous ont formé et envoyaient certains de nous dans les zones de front lybiennes : au Tchad en particulier. C’était le contrat. Je suis ensuite revenu dans le nord du Niger pour combattre au sein du Front de libération de Tamoust (FLT) avec la Coordination de la Résistance Armées (CRA) à partir de 1992. A cette époque, il était impossible pour nous d’aller dans d’autres secteurs du Niger. En tant que jeunes touaregs, nous étions très menacés. Nous trouvions nos kalaschnikovs et nos tenues militaires au Tchad et en Mauritanie. Le conflit avec les forces de l’Etat nigérien a été violent et j’ai vu des choses que je n’oublierai jamais. Le genre de choses que l’on voit dans les guerres.
La Coordination de la Résistance Armées a combattu jusqu’en 1995, date à laquelle a été signé le deuxième accord de paix entre le gouvernement nigérien et un front de résistance touareg. Le premier fût signé avec l’ORA (Organisation des Résistances Armées), le second avec notre coordination et enfin le troisième avec l’UFRA (Union des Forces de Résistance Armées) en 1999.
Les accords de paix prévoyaient d’organiser l’intégration de la communauté touareg dans la structure politique et sociale nigérienne, ce qui n’était pas du tout le cas auparavant, à l’époque où nos communautés demeuraient à l’écart de la nation nigérienne. Mille soldats de notre front de résistance ont ainsi intégré l’armée nigérienne. Trois mille au total parmi les trois mouvements de résistance. J’étais un de ceux là.
A présent, avec ce métier, j’ai le sentiment de pouvoir continuer à protéger ma communauté et le peuple du Niger. La guerre m’a laissé un bon et un mauvais souvenir : celui d’avoir sauvé mon peuple et celui d’avoir fait couler le sang. Toute guerre est à bannir, mais je crois que la violence était inévitable pour affirmer notre droit d’existence et faire cesser les discriminations infligées par l’Etat nigérien et les états voisins à notre égard. Je désire continuer mon service pour préserver cette paix. J’imagine un Niger où la paix serait totale, où la liberté et l’égalité des droits et des chances soient épanouies et réelles. Je voudrais que mes enfants puissent s’instruire, avoir un métier et qu’ils puissent choisir leur vie comme les autres et continuer à défendre la cause touareg. Etre égaux, libre et en paix : c’est capital pour nous tous ! » .
Mots-clés
Aire géo-culturelle: Afrique de l’OuestCatégorie d’acteur: Militaire
Domaine d’action: Histoire - mémoire - Paix - guerre
Itinéraire de vie: Engagement et volonté - Espérance dans un avenir meilleur - Réaction face à une injustice