Y’a pas de sots métiers !!
Edmond lave et repasse
Pour 125 francs CFA (0,20 euro), Edmond, épaulé - parce que c’est les vacances - de ses petits frères comme il les appelle, vous rendra votre pantalon et votre chemise dans un état impeccable, qui ferait pâlir toutes les machines à laver du monde, en à peine 24 heures.
Sa boutique est sobre, quelques tôles en guise de toit posées sur quatre murs en terre. Une porte qui donne sur le rue, une autre sur la cour, une minuscule fenêtre. Dans la cour, les bassines, les paquets de OMO et les petits frères qui s’affairent (tranquillement, Edmond est loin d’être un tyran) à astiquer les commandes du jour. Dans la rue, devant la boutique, le charbon de bois se consume lentement à longueur de journée pour alimenter en braises toutes fraîches les fers à repasser de nos grands-mères. Ici, pas d’électricité alors les jours de « grouille », selon l’expression d’Edmond, on finit tard le soir et à la lampe à pétrole.
Edmond d’abord, c’est le genre de blanchisseurs dont les femmes du quartier pourraient tomber rapidement amoureuses. Il n’en joue pas, mais son sourire d’une blancheur éclatante sur sa peau noire ébène, sa chemise ouverte et la classe naturelle de ceux qui savent parler calmement et donner de l’épaisseur à leur propos, lui assure une clientèle féminine régulière dont il ne se plaint pas, une singularité qui mérite d’être relevée dans un pays où les femmes, toutes les femmes, passent habituellement une bonne partie de la matinée à laver leur linge.
Edmond ensuite, c’est le genre de courageux qui commence à six heures tous les jours et qui n’hésite pas à finir à 23h00, et ce depuis 4 ans. « Pas de samedi, pas de dimanche ». Une vie simple, dure qui lui convient pour l’instant. Après la seconde, il a monté cette petite boutique et a rapidement « gagner » une bonne clientèle. Pendant l’année et « pendant que ses petits frères sont à l’école », il n’hésite pas à proposer aux enfants des rues de lui donner un coup de main, histoire qu’ils arrêtent de « traîner » sans rien faire et qu’ils essaient d’apprendre quelque chose. Chez lui, ils ne sont pas malheureux, il leur donne un « petit quelque chose » et surtout il leur offre un semblant de travail, qui les fait passer du statut difficile de gamins des rues à celui « d’apprentis blanchisseurs ». C’est pas rien, ça vous donne une place dans la société.
Edmond enfin, c’est le genre d’optimistes qui sait qu’il ne fera pas ça toute sa vie. Il a des rêves, des projets pour demain. Avec son niveau d’études (niveau BEPC), il veut se présenter aux concours des Eaux et Forêts et des sapeurs-pompiers. Il aimerait servir à « quelque chose d’autre », travailler pour l’intérêt général, aider à « protéger la nature » qu’il considère « en danger surtout ici en Afrique où on jette ses ordures dans la rue », ou contribuer « à sauver des vies » parce que « y’a rien de plus important ».
Les « bâtons » d’Abdou
Comme chaque jour depuis dix ans, il a posé son vélo sur la route principale qui relie le centre de Ouahigouya à la voie rapide qui mène jusqu’à Ouagadougou. Il a ouvert en grand « sa petite boutique » pour mettre en valeur les cartouches de cigarettes qu’elle renferme. Dans cette grande boîte en bois qui sert d’échoppe, les Excellence, les Hamilton, les Mustang, les Craven A, et autres Liberté (hé, oui c’est un comble pour une marque de cigarettes mais ça existe !!!) se disputent la vedette et font de l’oeil aux passants. Ajouter à cela, les rires et la bonne humeur d’Abdoulaye est vous êtes séduit sans vous en rendre compte.
Seulement dans ses cartouches, Abdou ne propose que du vide aux fumeurs invétérés. « C’est pour attirer le client !! ». En guise de cigarettes disponibles, deux malheureux paquets d’Excellence, pas les meilleures. « Mais en général, ajoute-t-il en grand stratège du commerce et en fin psychologue, quand un fumeur se déplace jusqu’à moi pour acheter une cigarette, il s’arrangera toujours des cigarettes qui sont disponibles ». C’est très vrai, puisque c’est ce qui s’est passé pour nous.
Abdoulaye vient à la ville le temps d’écouler son « stock », environ quatre à cinq paquets. La plupart du temps à l’unité « à 20 cfa le bâton », comme on dit. Quand ça marche bien, il gonfle les stocks. Quand ça marche pas, il les diminue. « La loi de l’offre et la demande version échoppe burkinabè ». Il commence à 7h00 chaque jour, et travaille jusqu’au soir. Il ne sait « ni lire, ni écrire », il a « laissé l’école » à l’âge de dix ans, en première année de primaire.
C’est à cet âge là qu’il a perdu l’usage de ces jambes, « de la polio ». Depuis, il circule en vélo, un tricycle d’une dizaine d’années. Il habite un village a une quinzaine de kilomètres de Ouahigouya sur la route de Yako. Il n’hésite pas à faire la route avec son vélo tous les trois jours pour « venir faire des affaires ». En habitué du vélo, il trouve que « faire la route » c’est plutôt agréable « sauf quand il y a du vent ».
C’est dans ces moments-là, face au vent, qu’Abdoulaye rêve de posséder un jour, un de ces tricycles à moteur « qui viennent par la Côte d’Ivoire de l’Europe ». Avec ça, il pourrait rentrer chaque jour. Un de ces amis a réussi à en avoir un. « C’est beaucoup trop coûteux pour l’instant ». Il a bien la solution « de bricoler un moteur de mobylette » sur son vieux vélo, mais à 45 000 cfa, il va falloir qu’il se « décide à remplir les cartouches ».
Mots-clés
Aire géo-culturelle: Afrique de l’OuestCatégorie d’acteur: Employé ou ouvrier - Jeune
Domaine d’action: Commerce - consommation
Itinéraire de vie: Défi - relation à ses propres limites - Désir d’échange et de partage - Processus d’apprentissage