Le pari et l’aventure permanente de la FRAO

En rencontrant Coumba, Fadel et Momar de la Fondation rurale d’Afrique de l’Ouest, nous avons l’impression de discuter avec des aventuriers tant ils nous parlent de chemin, de pari, d’itinérance et d’engagement ! Tout se tient et déborde de sens du début à la fin...
Chaque avancée, chaque projet, chaque idée amenés par l’un ou par l’autre, est minutieusement épargné et utilisé pour inventer la suite de l’histoire de la fondation. Pas étonnant que leurs mots, leurs idées, leur attention et leur écoute soient si bien affûtés !


L’engagement des équipiers de la fondation est sans doute la partie la plus belle de notre histoire. Les personnes que nous recrutons depuis le début doivent accepter d’aller dormir 10 jours dans un village africain. Nous pouvons partir en 4x4 équipé d’une boîte à outils au cas où, et faire des randonnées à pied dans la brousse... l’équipe est totalement africaine. Il y a 20 personnes permanentes et des consultants extérieurs, universitaires notamment, qui constituent l’équipe d’expertise. Nous mettons en avant des idées et des valeurs qui nécessitent un engagement.

Sarah

Par exemple, nous avons amené l’assistante de direction, Sarah pour qu’elle voit ce qui se passe sur le terrain. Quand elle est revenue, elle a écrit d’elle-même un rapport pour que les autres agents administratifs comprennent l’importance de la façon de travailler et de s’engager. Au niveau des relations entre les personnes, nous avons essayé d’approfondir le principe de respect. C’est fondamental. C’est la reconnaissance de l’autre comme porteur d’une histoire, de connaissances. Dans nos grilles de recrutement, nous faisons en sorte de voir comment cette personne peut apporter quelque chose dans notre vision du développement. Nous attachons beaucoup d’importance au regard des autres pour soi. Nous pensons que cela fait partie de notre responsabilité de comprendre notre place parmi les autres et dans le monde.


D’où vient la FRAO ?

Notre engagement est une vraie aventure. Nous existons depuis 12 ans. La Fondation Rurale d’Afrique de l’Ouest est née d’une rencontre de personnes qui étaient toutes insatisfaites des modes de développement et en particulier du développement rural. Parmi eux, il y avait des leaders paysans. L’essentiel de la population ne s’y retrouvait pas et les formes conventionnelles d’interventions ne collaient plus.

Ce groupe de fondateurs s’est rencontré avec l’idée de trouver une nouvelle manière de travailler en Afrique en voulant innover sur la base de quelques principes généraux et de faire se rencontrer la recherche et les acteurs de développement. Faire émerger une alternative africaine par les africains eux-mêmes : la FRAO est née de ce désir d’être au service de la majorité, de pouvoir les impliquer. Mais l’agenda n’était cette fois pas défini par les chercheurs. Notre défi était de convertir tout cela en manière de faire, de passer des objectifs à la mise en oeuvre. A cette époque, au début des années 1980, nous sommes dans un contexte où l’Etat est prédominant. Depuis lors, nous sommes tout le temps dans l’aventure et nous ne savons pas vraiment vers où nous irons demain !


Et comment avez-vous mis en oeuvre ces idées justement ?

L’idée était de démontrer la pertinence de l’outil après une phase pilote. Il y a donc eu tout d’abord une période de faisabilité, poursuivant bien sûr les idées fondatrices, et qui a été soutenue par deux parties prenantes : tout d’abord, la fondation Ford qui cherchait à impulser des innovations en matière de développement et qui a été sensibilisée par le discours des organisations paysannes. Et le Centre de Recherche sur le Développement International (CRDI) dont la devise était la suivantes : « s’affranchir par le savoir ». Le CRDI avait un bagage méthodologique et la fondation Ford apportait davantage de financements : nous avons rassemblé les deux ingrédients. Cette phase pilote n’achevait pas tout le projet de l’institution bien entendu, elle en posait seulement les jalons sur la façon de gérer, sur les outils et l’identification d’une équipe.

Nous avions besoin au démarrage d’un staff travaillant sur un programme de recherche et d’appui aux organisations paysannes. Cette équipe de faisabilité a travaillé deux ans avec 300-400 mille dollars en nous interrogeant sur l’échelle géographique et culturelle pertinente pour les problématiques posées. Dès le début, nous avons eu une approche territoriale sans idée de frontières bien nette. En 1990, si on voulait s’inscrire dans une perspective de développement, il fallait sortir du local-local : réfléchir dans une perspective sous-régionale et régionale, a l’échelle des systèmes de production, des cultures et des politiques. Nous partions du principe que nous agissons dans des systèmes de relations. Ce qui nous a amené à travailler à l’échelle de la sous-région africaine de l’Afrique de l’ouest : Mali, Sénégal, Gambie, Burkina Faso, Guinée Bissau.


Et sur quels objets et avec quelles méthodes avez-vous travaillé ?

D’emblée il y avait un défi méthodologique car nous nous définissions comme une manière de faire.
Nos priorités étaient l’ingénierie de programme dans le développement agricole. Nous avons pratiqué les outils tels que le diagnostic institutionnel, le diagnostic technique et l’évaluation avec un accent fort sur l’appui aux organisations paysannes. Nous avons n’avons jamais été un bailleur de fonds et nous avons inventé progressivement nos propres modes de financement notamment sous la forme de contrat-programmes.


Donc, il fallait que nous puissions contribuer à trouver des outils et des méthodes pour garantir une certaine participation. En plaçant la méthode au centre, nous sommes devenus très sensibles au parcours des gens. Cela nous a conduit à nous intéresser à ce que faisaient les ONG, l’Etat, et les bailleurs de fonds. Nous avons beaucoup partagé avec les autres institutions. Le dialogue a été parfois difficile et tendu. Toujours est-il que les problématiques sont apparues fortement liées entre elles. Les questions de gouvernance locale ont succédé aux questions techniques que nous nous posions. Cela a marqué une deuxième étape.

Du fait que la décentralisation avait été choisie par le gouvernement sénégalais, de nouveaux enjeux se sont ouverts. Les partenaires avaient besoin d’être soutenus pour assumer de nouvelles responsabilités. Notamment l’affectation des terres, c’est un problème clé ici. En substance, il y a plusieurs régimes fonciers dont le régime soumis à la loi coutumière, qui disait que les terres non immatriculées étaient affectées au domaine national. L’Etat en affectait l’usage et cette fonction a été maintenant transférée au conseil rural. C’est maintenant au conseil rural de gérer le droit d’usage des paysans. Idem pour l’éducation et l’environnement. Et vu l’instabilité du système politique, il nous faut nous appuyer sur une citoyenneté minimale pour assumer cette nouvelle responsabilité. Après s’être battu pour promouvoir la participation, nous nous intéressons maintenant à la capacité à devenir et être responsable, à être acteur et citoyen. Et cela nous a renforcé dans le travail sur la gouvernance sur le plan de la gestion de la diversité des acteurs et de l’articulation des différentes échelles.

A un moment donné, la coopération de l’Etat a pensé qu’en appuyant les producteurs et les organisations paysannes, ceux-ci pouvaient être meilleurs. Le modèle a allors progressivement changé au niveau de l’Etat et de la Banque mondiale. Dans la foulée, les agriculteurs ont demandé notre coup de main pour l’accompagnement de ce changement de pratiques. Quand la phase pilote s’est terminée, la Banque mondiale a généralisé cela en ouvrant le marché aux opérateurs privés. La FRAO ne postule pas sur tout mais seulement là où nous avons une expertise petinente pour les communautés et où nous pouvons apprendre nous-mêmes. Nous établissons des alliances avec des opérateurs privés ou des organisation relais avec lesquelles nous travaillons dans une logique d’accompagnement.

Nous sommes une structure d’appui au développement et nous travaillons sur cinq axes stratégiques :


- la réflexion et l’action sur la conception des politiques et le développement institutionnel,

- le renforcement de la capacité des acteurs par la formation,

- la contractualisation, c’est à dire l’aide au montage de projet,

- la promotion des réseaux d’intelligence collective, de l’entreprenariat et de pôles de développement.


Nous avons fait beaucoup de formations et réalisé des guides pratiques utiles pour les organisations. Nous nous interrogeons fortement sur l’évaluation de l’action dans le cadre des changements sociaux. Ce que vous voyez ici, ce sont de gros efforts de systématisation et de conversion de nos expériences en guide de pratiques. Nous avons une tradition orale chez nous, et si on avait votre réflexe de tout taper sur un ordinateur comme vous, on aurait quasiment une tonne de bouquins ! Parmi nous, il y a des tas de sociologues et de chercheurs. Nos dix ans d’expérience sont capitalisés dans ces documents et constitue un capital d’idées qui a réellement de la place dans les discours.

La capitalisation de notre expérience est une priorité : par exemple, nous avons fait un inventaire de nos documents s’appuyant sur une base de données mise en place sous Isis. Nous réfléchissons déjà à l’exportation de cet outil car le procédé est essentiel pour toute organisation qui souhaite construire un capital. On fait aussi des rapports de voyage qui sont stockés. Mais il nous faut encore aller fouiller pour trouver les documents. Nous avons un inventaire mais il nous faut encore fouiller nos placards pour trouver nos documents. Nous n’en sommes pas encore au thésaurus et au tout informatisé. C’est une autre étape. Nous avons pas mal de vidéos et utilisé petit à petit la cartographie pour assembler nos idées.

Ce qui a marché jusqu’à aujourd’hui, c’est notre proximité avec les communautés en privilégiant le transfert des savoirs et la capacité des communautés à s’organiser. Car la contrainte structurelle finalement, c’est la possibilité de formuler des projets et de les évaluer.

Nos outils sont la formation, le web (que l’on cherche d’ailleurs à professionnaliser), les rencontres et forums (le forum nord-sud de la coopération suisse dernièrement), l’ingénierie de projet et l’ingénierie institutionnelle.

A présent,nous voulons améliorer notre visibilité. On ne peut plus se contenter de notre niveau actuel de communication, nous avons une identité et des idées à valoriser. Il faut que l’on développe nos capacités à communiquer de manière plus large. Nous avons surtout travaillé avec nos partenaires jusqu’à présent. La FRAO est sur deux terrains : en animation d’une part, et en production de connaissances d’autre part. La tension que l’on arrive pas à régler, c’est de continuer à être sur le terrain et pouvoir développer une capacité de capitalisation. Comment mener tout cela de front ? Les fiches de suivi règlent une partie de la question. Nous sommes dans une étape cruciale aujourd’hui : il faut que l’on change pour continuer à exister. Cette année ce sera une année de transition.


Sur le terrain, ça se passe comment avec les agriculteurs et les organisations paysannes ?

Nous faisons un travail minimal d’information sur ce qu’est la FRAO. Les organisations paysannes peuvent nous contacter pour avoir un appui technique, méthodologique et financier. Une équipe se constitue ici pour appuyer l’initiative, nous faisons un séjour chez eux pour discuter, planifier, monter un dossier puis on étudiait le soutien de la FRAO. Nous avons ouvert un fond de subvention (de moins en moins utilisé en fait), mais les acteurs locaux ont toujours besoins d’outils de planification et d’élaboration de projet. C’est essentiellement ce métier là que nous valorisons : donner au collectif l’appui au montage de projet en mobilisant nos ressources méthodologiques et en leur permettant de valoriser leur ressource propre et de trouver eux-mêmes d’autres moyens. Nous leur laissons des outils pour cela. Très vite, on a intégré le besoin d’avoir des partenaires relais avec qui investir pour démultiplier l’action et les connaissances. Il y a une évolution très importante avec les organisations paysannes : ils venaient à nous pour un appui mais maintenant ils nous emploient !


Dans quels programmes vous investissez-vous par exemple ?

Nous participons au Programme National d’Infrastructures Rurales (PNIR) et au Fonds de Développement Social. Nous apportons notre expertise. Nous venons de terminer une consultation sur le NEPAD (New Partnership for Africa’s development)qui est un processus de planification à long terme du continent africain. C’est un enjeu pour le continent africain et le défi sera de pouvoir le financer. Nous participons activement à six réseaux au moins sur le domaine de la gouvernance et nous animons une dynamique associant la Banque africaine de développement et la société civile.


Quelles sont vos stratégies de financement ?

Nous avons beaucoup appris en ingénierie financière.
Nous avons inventé de nouvelles modalités pour générer des ressources, complémentaires de nos deux partenaires que sont le CRDI et la fondation Ford. Nous nous insérons dans les programmes nationaux financés par divers bailleurs de fonds sur le volet expertise et c’est une prestation qui nous rapporte. Sur d’autres questions, nous pouvons bâtir des programmes où chacun donne son expertise et où d’autres apportent leur appui financier. Ce sont des programmes élaborés conjointement. Evidemment, nous sommes soumis aux mêmes contraintes de fonctionnement que les autres puisque nous pouvons manquer de financement.

Dans la pratique, il faut aussi avoir une grille de lecture qui fonde nos actions partenariales sans qu’on y perde notre âme. Il faut bien entendu aller chercher les bailleurs de fonds la où ils ont besoin de vous mais il faut s’y retrouver sur nos domaines d’expertise et nos questions de structuration. Si on était plus dépendant des fonds publics, on serait plus dans une logique de bureau privé et de maîtrise d’oeuvre.


La gouvernance est un sujet qui traverse toute vos pratiques. Que mettez-vous en avant sur ce thème ?

En effet, la question de la gouvernance émerge de tous les sujets précédents : les problèmes locaux révélaient des aspects qui dépassaient les échelles locales et atteignaient l’ordre mondial. On apprend énormément au niveau local pour atteindre les autres échelles. En partant d’une problématique formulée par les paysans, nous en arrivions à traiter les problématiques continentales. Nous nous sommes rendus compte que pour réussir les projet de développement, il fallait élargir notre espace d’échange. C’est ce qui a marque l’engagement de la FRAO dans le lancement du réseau Dialogues sur la gouvernance en Afrique.

Nous pensons qu’il faut relier les pensées et les approches politiques. On s’aperçoit par exemple qu’au niveau national, des choses sont contradictoires avec les actions locales. Les modes de régulation sont à revoir.


Le réseau Dialogues sur la gouvernance est une initiative de la FRAO, de Ousmane Sy au Mali ayant travaillé au sein du gouvernement malien, de John IGUE au Bénin (ancien ministre) et l’ancien Président de la République de Guinée Bissau. Nos questions se rejoignaient. Ce réseau devient le moyen pour nous de changer d’échelle : on y discute de pratiques et de concepts. L’idée est de réfléchir sur les espaces publics africains en intégrant les Ong, les représentants de l’Etat, de la société civile. Nous voulons mettre en débat nos propositions sur la gouvernance et réfléchir à des stratégies pour les mettre en place. Nous avons donc rencontré naturellement la Fondation Charles Léopold Mayer sur ces problématiques de gouvernance, de décentralisation et d’action de l’Etat.

Nous avons grossomodo trois idées sur la gouvernance : l’Afrique est dans une profonde crise de la gouvernance c’est à dire dans la gestion des affaires publiques. C’est la 1ere idée. Deuxième idée : cette crise est la traduction de la crise de la gouvernance mondiale. Troisième idée ; il faut trouver des alternatives qui sont des réponses spécifiques et locales à des défis qui sont en même temps des défis mondiaux. Et ayant trop oublié d’être nous-même dans le développement, il nous faudra ré-apprendre à se positionner.


Fadel Diamé est directeur exécutif régional et co-fondateur de la FRAO.
Ndeye Coumba Fall est directrice des programmes et Momar Ndien anime notamment le réseau Dialogues sur la gouvernance.

En savoir plus :
- sur la FRAO via son site web
- le site web du réseau Gouvernance Afrique



Mots-clés

Aire géo-culturelle: Afrique de l’Ouest
Catégorie d’acteur: Alliance et réseau - Fondation et organisation internationale
Domaine d’action: Agriculture - développement rural - Etat - administration - Gouvernance - politique
Itinéraire de vie: Décalage ressenti avec les réalités - Engagement et volonté - Evolution des idées et des représentations - Poursuite des idéaux ou d’une éthique - Prise de responsabilité - Recherche de sens et de vérité
Méthode d’action: Animation et coordination des réseaux et organisations - Appui et accompagnement de l’action collective - Capitalisation et collecte de l’expérience - Diffusion des idées et des propositions - Echange et valorisation de l’expérience - Elaboration collective d’une stratégie - Expertise - Formation - renforcement des capacités - Méthodes et outils d’intelligence collective - Production collective de propositions - Recherche de financement et de pérennité - Relation avec les acteurs institutionnels - Transversalité entre les milieux et les thèmes
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