Le sens de ma vie, c’est la religion !

Qu’est-ce qui peut interdire une amitié entre deux êtres ou bannir définitivement la possibilité d’aimer une autre personne au nom d’une différence idéologique ? Qu’est ce qui, pourtant chargé de valeur et de compréhension humaines, peut se contredire par l’interprétation qu’on en fait et devenir le sens exclusif et déshumanisé d’une vie ? De l’extrême et de la contradiction à prendre à reculons.


Le quartier est élégant et résidentiel : de temps en temps une Porche Cayenne, un Nissan Pajero, pas de vieux tacots, une mosquée ultramoderne avec un minaret futuriste, les tunisiennes « modernes » qui ont fini leur travail et rentrent chez elles en s’arrêtant à la boutique du coin pour acheter des chips et du coca. De l’anonymat aussi, peu de salutations spontanées entre passants et résidents, hormis celles des petits boutiquiers tranquilles branchés avec fidélité sur la télé ou la radio. La poignée de main est sincère. Son sourire est franc, il a l’air réjoui et son visage est très accueillant. Anis, 27 ans, vient de commencer sa demi-journée de boulot dans un taxiphone (téléphone public) du quartier Ennasr 1 de Tunis. Derrière le comptoir vitré, les immuables et systématiques portraits de Monsieur Ben Ali, Président de la République de Tunisie, et un sous-verre encadrant les superbes arabesques des écritures saintes de l’Islam, en couleur or sur fond noir.

Anis est très sympathique. Il est musulman et pratiquant. En venant régulièrement utiliser ses téléphones, nous comprenons que sa foi est profonde. Très profonde même. Au point d’être très perturbante et "extrêmisante".

Que représente la religion pour toi ?
« La religion est très importante pour moi car c’est la vie. Dieu a crée la vie. Ma vie va donc vers Dieu. Il t’a crée toi, il m’a créé, le ciel, les astres, la matière.
Je fais cinq prières par jour. Pendant l’hiver, je commence au lever du jour, puis à 12h, à 16h, 17h30 et 19h30. Je lie la parole de Dieu écrite dans le Coran. J’ai commencé à pratiquer ma religion depuis l’âge de 13 ans avec des petites interruptions durant mon adolescence où j’ai un peu de « bouche à bouche » avec les filles. C’est la connaissance du Coran ensuite qui m’a fait changé. Mon père m’a appris le Coran à Sfax où je suis né. Nous sommes très croyants là-bas.


Comment ta croyance te guide-t-elle dans tes actes et tes choix quotidiens ?
Par exemple, le Coran nous dit qu’il faut aimer son prochain comme son frère. Toi, étranger, tu es un frère pour moi et je place mon amour en toi. Certains choses sont interdites par les écritures du Coran : consommer de l’alcool, avoir des relations sexuelles avec des femmes sans être marié, ou si l’on est marié, d’aller voir d’autres femmes. L’hypocrisie, le mensonge, le vol par exemple sont interdites, c’est à dire qu’ils sont « haram ». Lorsque je vois des gens qui agissent de cette façon, j’essaie de les remettre dans le chemin que proposent les écritures saintes. L’inverse c’est le « halal », ce sont les choses que l’on conseille.


Je crois que les musulmans sont tristes ici, car les paroles du Coran ne sont pas vraiment appliquées.
Il y a trop d’excès, de gens qui s’écartent du chemin écrit par le Coran. Lorsque les gens sont dans le « haram », les textes disent qu’il faut les punir. Couper la main du voleur, lancer des pierres aux amants illégitimes pour leur ôter la vie, faire porter aux femmes le « hijab », le voile masquant leur visage pour empêcher les désirs à leur égard. La loi en Tunisie interdit cela. Ce n’est pas bon pour la religion.


Je pense que les femmes qui veulent leur émancipation à l’égard de la parole religieuse sont des femmes qui ont dévié à cause de l’influence d’autres personnes ou d’autres façons de vivre. C’est un échappatoire de la parole sainte. Ce n’est pas plus de liberté qu’elles veulent en fait. Il faut les aider à se mettre dans le bon chemin.

Quels sont tes idéaux ?
Je rêve de mourir dans l’Islam, dans la prière, la guerre sainte ou à La Mecque. C’est mon premier rêve. Ensuite, je souhaite me marier, avoir un travail à 400-600 dinars par mois (250-400 euro), des enfants qui seront musulmans, faire un pèlerinage et retrouver ma famille au paradis. Pour que le monde soit en paix, il faut espérer le départ de Ariel Sharon du gouvernement israélien et le rayonnement de l’Islam.


C’est difficile pour moi de parler à un chrétien parce que les mots ne sont pas les mêmes. Je ne peux pas tout te dire tu vois ? On ne pourra pas être ami parce que tu n’es pas de la même religion que moi. C’est interdit ! » .


Comment peut-on détourner à ce point le sens de l’Islam ? Comment peut-on asservir les êtres et les choses et s’asservir en même temps de la même façon ? Comment comprendre l’abîme où sont enracinées ces convictions religieuses ?



Tunis - Tunisie, le 3 mars 2005.






Mots-clés

Aire géo-culturelle: Afrique du Nord - Maghreb
Catégorie d’acteur: Commerçant ou artisan - Jeune
Domaine d’action: Valeurs et religions - représentations
Itinéraire de vie: Don de soi - Poursuite des idéaux ou d’une éthique
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