Mady et son Niokolo-Koba

Visiter un parc national en Afrique peut rester une entreprise quelque peu banale. Elle devient beaucoup plus intéressante quand notre guide s’avère être non seulement un observateur hors-pair qui remarque les animaux là où vous ne voyez que des arbres, mais aussi un homme de convictions avec une kyrielle de savoirs à transmettre.



C’est depuis les hauteurs de Marguerite que nous sillonnons les recoins du parc en compagnie de Mady. Dès nos premiers tours de roues, il n’hésites pas à nous mettre à l’aise : « Ici pas questions de se promener à pied, on ne sait jamais, les lions sont peu nombreux mais ils sont un peu partout ». Evidemment, notre incrédulité de toubabs n’ayant pas de limite, il lui faudra nous rassurer quelques kilomètres plus loin en nous indiquant sans mal une bonne trace, qui vu de la portière et vu les proportions, nous a confirmé que les chats avaient des grands frères et que certains d’entre eux habitaient dans le parc.



- Mady, ça ne te dérange pas si on te pose quelques questions sur le parcours professionnel et personnel que tu as suivi pour devenir garde au sein du Niokolo ?

- Tu l’as vu ? Là sur le côté.

- Quoi ?

- Le cobe de Buffon ! Fais marche arrière tout doucement, mais n’arrête pas le moteur, ça le ferait fuir.








Effectivement, en y regardant de plus près, il y avait bien, non loin de la piste, deux belles « biches » plutôt

tranquilles, qui profitaient de l’abondance offerte par la saison des pluies pour paître tout ce qu’elles pouvaient.




- Ma première véritable expérience professionnelle, ce sont les dirigeants de l’OFADEC - Office africain pour le développement et la coopération qui me l’ont offerte en me proposant de participer à la mise en place d’un projet d’aménagement hydraulique dans la région de Tambacounda. Il s’agissait de planifier le réseau d’irrigation pour l’arboriculture et la culture des bananes. Ca m’a permis de travailler avec de grands techniciens universitaires. Ce sont eux qui m’ont réellement donné l’envie de continuer dans cette voie du développement et particulièrement du développement rural, en mettant en avant tout le côté implication des populations locales. Ensuite, le même OFADEC m’a confié un autre projet, à peu près de la même consistance, un projet de développement agricole qui visait à encadrer les agriculteurs toujours sur la production bananière, les épauler à développer les cultures maraîchères et céréalières. J’étais jeune, j’avais à peine 18 ans. Là ! Un guibe harnaché ! Tu l’as vu ?


- Un quoi ?

- Ensuite, j’ai travaillé un peu dans le textile, la production de fibre textile puis j’ai décidé de reprendre des études d’horticulture pour disposer d’une vraie formation, reconnue. Ce qui était bien, c’est qu’on touchait un peu à tous les domaines en lien avec l’environnement, la nature : arboriculture, agriculture, étude des sols, apiculture, aménagement de jardins... Grâce à cette formation, j’ai pu ensuite intégrer un centre de jésuites, ici à Tamba, pour former les paysans aux techniques de maraîchages. J’ai duré 5 années dans le centre.


- Et ta rencontre avec le parc, ça remonte à quand ?

- Attends ! Roule doucement ! Regarde juste sur le côté là-bas. Tu les vois ? C’est des babouins. Tu as vu comme bougent les plus jeunes, comment ils remuent la tête ? C’est pour te provoquer. Remue juste la tête comme eux et tu vas voir l’effet que ça fait !

J’ai observé les babouins quelques secondes, pour voir comment ils bougeaient la tête. Les plus petits semblaient me provoquer effectivement en remuant la tête d’avant en arrière de façon saccadée comme pour me dire : « qu’est ce t’as ? ». J’ai fait la même chose. Aussitôt tous se sont mis à hurler. Ils sont allés se réfugier derrière les plus gros, certainement les chefs.


- C’est en 1992 que j’ai proposé mes services au parc en tant que bénévole. J’avais très envie de participer à son développement. J’étais convaincu que l’on pouvait utiliser le parc comme levier de développement. Le parc a été créé en 1954 et est considéré encore aujourd’hui comme le plus grand parc d’Afrique de l’Ouest. En 1981, il a été élevé au rang de réserve de biosphère par l’Unesco. Je savais que c’était une chance pour notre région, un formidable atout, alors je me suis engagé avec les gardes du parc. Ce sont eux qui m’ont formé et qui m’ont fait confiance. Ils m’ont laissé prendre en charge un programme de sensibilisation à destination des populations riveraines du parc. A cette époque, il existait un fossé entre ce que les villages pensaient du parc et les bénéfices que chacun pouvait en tirer. Beaucoup pensaient qu’on leur avait pris leur terre. On avait déplacé des villages, réduit les périmètres de chasse, uniquement pour faire plaisir aux toubabs venus découvrir l’Afrique. Le climat n’était pas spécialement positif. L’objectif était clairement de retisser les liens avec la population.


- C’était des conditions difficiles, comment tu t’y es pris ?



- Oh ! Regarde ce gros phaco ? Regarde comme il nous défie. C’est un mâle. Derrière, c’est sa famille.

Un gros phacochère, avec deux défenses de toute beauté et qui en disaient long sur son grand âge, était planté en plein milieu de la piste. Sur le côté, sa chérie et leurs deux enfants attendaient patiemment que le chef de famille en ait fini avec ses mouvements d’intimidation, qui de toute façon n’intimidaient personne, et surtout pas marguerite. J’ai avancé tout doucement. Aussitôt, il a baissé sa garde et est retourné auprès des siens. J’adore leur façon de trotter, on dirait qu’ils friment ou qu’ils snobent le public.


- J’étais peut-être un novice du parc à l’époque mais j’avais un atout : j’étais un enfant du pays, un enfant d’un des villages qui jouxtent le parc et les gens me connaissaient. Et puis surtout, je parle la presque totalité des langues locales courantes ici : bassari, mandingue, peular, woloff, diallanké. Ils me connaissaient de près ou de loin, je parlais leur langue et je n’étais pas un agent de l’administration. L’échange était plutôt équitable je pense à leur yeux. Et en plus, je venais leur demander ce qu’ils pensaient du parc. Ils avaient confiance.


- Une fois dans les villages, qu’est ce que tu faisais ?

- Arrête toi ! Là, juste devant, un groupe de patras.

On a stoppé la voiture. Des petits singes ont traversé la piste non loin de l’endroit où on avait stoppé. Un à un, ils se sont retournés pour nous observer. Ils étaient jolis ces petits singes, plus jolis que les babouins !


- En fait, je ne faisais rien d’extraordinaire, je faisais ce qu’il aurait fallu faire depuis le début : causer. Ici, quand tu veux causer avec la population, il faut toujours prendre l’attache du chef de village. C’est avec lui que tu organises la rencontre, c’est mieux. Il s’occupe de réunir les populations, de les avertir de ton arrivée. J’avais avec moi quelques produits de sensibilisation, des photos et des diapositives que je projetais sur un écran, sur la faune et la flore du parc et quelques exemples de réalisation à l’intérieur du parc. La plupart des gens que je rencontrais n’avaient jamais mis les pieds dans le parc et n’avaient aucune idée de son fonctionnement, de son objet, de ce qu’on y faisait. On organisait une causerie, je les écoutais et j’essayais d’apporter des réponses à leurs questions. Beaucoup de chose se règlent par le dialogue, particulièrement ici, où les gens ont l’habitude de se concerter, de discuter des problèmes auxquels ils sont confrontés. C’est essentiel.


- Et qu’est-ce que tu leur disais ?

Il m’a fait signe de m’arrêter. Sur le côté, une de ces innombrables termitières cathédrales qui peuplent le Niokolo-Koba. Elle devait bien être aussi haute que marguerite. Aussi surprenant que ça puisse paraître, les termitières sont immenses et les termites... minuscules.

- J’essayais de leur expliquer que le parc était pour nous, pour la région, avant d’être pour le Sénégal. Si nous n’en prenions pas soin, si nous ne luttions pas tous ensemble contre le braconnage par exemple, alors ce ne seront pas les habitants de Dakar qui en subiront les conséquences mais nous, habitants de la région. A l’inverse, si nous contribuons à le développer alors les retombées seraient pour notre région. Je mettais en avant les expériences des parcs de l’est africain et notamment les retombées économiques qui étaient liées au développement du tourisme de nature, l’éco-tourisme, et les créations d’emplois spécifiques qui pouvaient en découler pour nos jeunes. C’était très enrichissant pour chacun de nous. Eux se rendaient compte de ce que pouvait générer le parc et moi je comprenais à quel point les populations n’avaient pas été associées à la gestion du parc. Or, dans tout projet de développement, les populations doivent être associées, c’est la base. Si elles ne sont pas partie prenante de l’initiative, si elles n’y voient aucun intérêt, alors ton projet a très peu de chances de se maintenir sur le long terme.


- Par la suite, est-ce que ça a porté ses fruits ?

- Regardes de l’autre côté de la mare, c’est un cobe de Fasa.

Le cobe était un peu loin. Nous sommes descendus de la voiture pour nous approcher de la mare. En cette fin d’après-midi le calme régnait sur la mare de Simenti. Chacun venait y prendre ses dernières forces avant de rentrer dans la forêt pour la nuit. Le coucher du soleil nous enveloppait d’une lumière très douce. Nous restâmes accroupis sans plus parler pendant quelques minutes, profitant de ces instants de sérénité partagée.


- Les habitants n’avaient plus de complexes à imaginer des micro-projets en lien avec le parc : amélioration du cadre de vie notamment pour les villages situés le long de l’axe routier qui traverse le Niokolo, préservation des rôniers, lutte contre les feux de brousse, utilisation d’engrais naturels, développement d’une filière bio, proposition de produits touristiques pour accompagner la visite du parc par de l’immersion des visiteurs dans les villages traditionnels. Chacun a fini par comprendre qu’il y avait un intérêt à travailler ensemble. Une dynamique était née.


- Et pour toi, quelle a été la suite ?

- Un hippotrague, là sur la droite ! C’est l’animal symbole du parc.

J’ai juste eu le temps de tourner la tête pour voir une espèce de gros mammifère partir en courant bruyamment, en arrachant quelques arbustes sur son passage. Cette fois,l’hippotrague sortait vainqueur de ce duel qui se jouait depuis le début de la journée entre eux et moi : , je n’avais pas réussi à dégainer mon appareil photo assez vite... à ma décharge, c’était la fin de journée.


- J’ai continué la sensibilisation. J’ai profité du projet de création du parc transfrontalier avec la Guinée Bissau, le Niokolo-Badiar. On disposait de beaucoup de moyen et énormément de choses ont été mises en place à cette occasion, notamment des infrastructures pour les gardes et la création de campements touristiques intégrés. Avec un chanteur guinéen engagé dans la préservation de l’environnement, Mouctar Baraya Bâ, on a monté une tournée de sensibilisation par la musique en Guinée et au Sénégal. Pendant deux mois on a sillonné les villages avec notre spectacle, spectacle toujours associé à des débats, des causeries. J’avais déjà une grosse expérience en la matière et je savais les messages importants qu’il fallait faire passer. C’était une expérience extraordinaire. Le parc a prit un réel essor avec ce projet.


- Et maintenant, quels sont tes projets ?

- Descendons ici, je vais vous faire voir ce que vous auriez pu voir si on avait beaucoup de chance.

On venait d’arriver à un poste de garde du parc. On a salué tout le monde et on s’est approché d’un grands enclos. Au milieu, on distinguait très nettement deux panthères, allongées sous un arbre. A notre arrivée, la femelle s’est levée pour nous venir nous accueillir. On a beau dire, même derrière un grillage, c’est toujours un peu impressionnant. Elle avait, comme tous les félins, une démarche faîtes de grâce, de souplesse et de puissance.




- Leur mère a été tuée par des braconniers, ici, dans le parc. Le parc les a recueillis et les pris en charge jusqu’à ce qu’ils soient devenus adultes. Puis on a essayé de les réintroduire dans le milieu naturel. Mais ils ne savent pas chasser. Il vont donc finir leur jour ici.

Quant à moi, avec toute l’expérience que j’ai accumulée, mon souhait aujourd’hui, c’est de pouvoir transmettre mon expérience, mon savoir. Je rêve d’un centre d’accueil intégré au parc, fait de cases et de bâtiments respectueux de l’environnement, construit uniquement avec des matériaux naturels et n’utilisant que les énergies renouvelable pour l’électricité et le pompage de l’eau. On y ferait à la fois de la sensibilisation à l’environnement notamment à destination des scolaires, de la formation pour les futurs personnels du parc et de l’accueil touristique occasionnel. C’est un projet auquel je crois et pour lequel je suis à la recherche de fond. J’ai déjà créé un GIE (groupement d’intérêt économique) et le projet a déjà son terrain. Il est situé, là, à Cent mètres d’ici au niveau du gué de Damantan. Ici, c’est bien, c’est en plein milieu du parc, le long du fleuve, juste à côté des panthères, des hippopotames... et des crocodiles.



Mady est un autodidacte de la préservation de la nature. Il se plaît à dire qu’il l’aime depuis sa plus tendre enfance. Il est président de la section régionale de Tambacounda des Amis de la Nature, association internationale de sensibilisation et préservation de l’environnement affiliée à l’UICN. Il est aussi guide animalier au sein du parc Niokolo-Koba, le plus grand parc d’Afrique de l’Ouest.
Pour le contacter : (00221) 690 68 54 - madindiaye@hotmail.com.




Tambacounda, le 8 juillet 2004
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