Trente et une dents et petite dernière sur la route

Je prends 31 ans ! Pour marquer le coup, voici quelques idées sur ce qui nous fait voyager et ce qui me fera voyager à l’avenir. Il y a du désir, de l’érotisme, du métissage... et une vraie vidéo qui restitue tout cela si clairement et remarquablement. Feliz cumpleaño !

On en parle dans tous les sens, avec des carnets de bord, des images, des histoires, des poésies, de la musique. L’érotisme. N’y aurait-il pas de l’érotisme derrière le voyage ?

Le mot s’emploie d’habitude pour autre chose, pourtant il a bel et bien à voir avec les motifs et la séduction du voyage. D’où vient ce sentiment envahissant d’avancer pour la première fois sur une piste qui traverse la cordillère des Andes ou de plonger ses yeux dans les regards amusés de toute une famille bolivienne qui vend des bananes sur un marché populaire de Buenos Aires ? Ne banalisons pas : de l’intérieur, ça n’a jamais été simplement une rencontre de coin de rue dans une capitale où les cultures et les genres se mélangent et atténuent l’effet de découverte. C’est une surprise, une première fois que l’on vit intensément, de la tête aux pieds, en situation d’étranger, avec un étonnement d’un nouveau calibre. Le contact est neuf, étrange, insolite, beau, intriguant, fort, émouvant... bref, suffisamment pour se sentir déplacé aussi loin que pourrait nous emmener les ailes du désir. Un désir réel, venant d’on ne sait où, peut-être du face à face avec l’étonnement, du différent, du complémentaire. D’une profondeur en tous cas. Tout le monde peut en imaginer les conséquences : on se laisse accaparer, on regarde pour regarder, on reçoit, on incorpore, puis on partage pour revivre la découverte. Celle-ci ne porte pas exclusivement sur un seul individu, mais davantage sur une ambiance, un groupe, des sociétés, une culture, et la façon dont tout cela tient debout et s’anime.

La surprise qui nous convoie jusqu’à nos propres frontières, a aussi le pouvoir de nous ramener vers notre propre murmure : on s’écoute grincer, vibrer, s’ouvrir, chercher, admirer, vouloir. Qui sommes-nous pour éprouver tout cela ? D’où sommes-nous venus pour venir jusqu’ici ? L’étonnement a conduit tout droit à la ferveur, à la curiosité, à l’envie de connaître et de communiquer. Voilà un des modes de transport les plus transformateurs du voyage : celui de l’étonnement et de l’incorporation. Soulignons qu’il n’y a rien de bien linéaire là-dedans. L’incorporation se construit en remue-ménages, à tâtonnement, tente une direction, s’égare, recommence à nouveau ; elle a besoin de confiance, relativise des pans entiers de l’expérience, a besoin de solitude, se fuit, se retrouve. Elle réaménage ce que l’on sait sans l’effacer.

En somme, n’avons-nous pas l’impression de parler d’une forme de reliance avec le monde et soi-même ?? Quel est ce chamboulement provoqué par l’aventure nomade, sinon une immersion dans l’étonnement et le mouvement ? Sinon l’expression de l’Eros, l’énergie primaire qui nous raccorde à ce dont nous sommes par nature séparés ?

Cette énergie me semble intimement ancrée dans le désir de mobilité. Une mobilité qui doit certainement venir des choses écrites dans les profondeurs culturelles et de l’humeur du monde. Comment s’étonner de vouloir prendre le large dans un monde, celui des pays industrialisés en particulier, qui a tendance à segmenter profondément les temps de vie, les relations entre les êtres et la nature, et les modes de pensée ? Comment s’étonner de la revanche du désir dans un monde qui tend à uniformiser le sens et le mode de vie, qui bureaucratise, réduit les solidarités et l’altérité ?

Dans ce décor, le voyage apparaît comme un remède simple et essentiel, figurant au tableau des initiatives en quête de renouveau de soi et de collectif. Des penseurs, comme Patrick Viveret et Edgar Morin, nous racontent même que la regénération, à commencer par la nôtre, est un processus dans lequel un retour aux fondamentaux est toujours nécessaire. L’idée plaidera en faveur de la portée de l’érotisme et du voyage dans les societés "modernes".

Quoiqu’il en soit, il sera impossible pour quiconque passant un peu de temps sur la route, d’effacer les marques laissées par l’érotisme itinérant. Il y en aura des violentes : le fossé entre les riches et les pauvres, l’importance de l’argent, les symptômes de l’uniformisation de la pensée et des comportements, le saccage écologique de la planète. Il reste que transiter dans un monde infiniment divers donne une impression de multitude et d’abondance, d’une quantité infinie de couleurs et de signes, de sensualités ; s’y connecter, se laisser modifier, essayer de l’incorporer, tout ceci est une expérience unique dont la valeur avoisine celle d’une nouvelle naissance ou d’une révolution intérieure.

Et ensuite ? On peut éprouver une vraie reconnaissance à l’égard des êtres et des choses qui nous ont étonnées et qui nous ont laissées déambuler librement sans rien demander. On a juste effleuré mais l’on s’est connecté à tout ce que l’on trouvait différent : les yeux, les regards, les gestes, les mots, les liens nouveaux construits ici et là sur le chemin, des réponses sensibles, des attitudes bienveillantes, de ceux qui ont peu, de ceux qui luttent, toutes idées et horizons confondus. Si bien que la liberté de se promener ainsi demande comme une attitude reconnaissante, une sorte de responsabilité qui murmure quelque part en nous-mêmes. Elle nous demande de faire vivre les richesses léguées par l’itinérance, en acte de métissage nous aidant à nous métisser nous-mêmes, et si possible à agir en faveur des deséquilibres et des défis de ce monde.


Nous arrivons à un point ultime de notre affaire itinérante. Le premier voyage qui visait à connaître et à reconnaître se change en un autre voyage qui se prépare avec le vécu du premier. Mettre dans son baluchon le meilleur et le plus divers rencontré en chemin et partir tracer de nouvelles routes.

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Bon d’accord, c’est bien tout ça, mais concrètement ?







Cuando François habla !
3mn - 12 Mo











Buenos Aires - Argentine, le 25 décembre 2006.






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Aire géo-culturelle: Amérique du Sud
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